(…) même si l’émiettement des valeurs devait continuer à progresser et si la vie quotidienne devait entrer dans une confusion encore supérieure et, qui plus est, même si l’homme voulait se détourner complètement de la connaissance (…), la connaissance en tant que telle est intangible, et c’est la connaissance qui dans toute désagrégation des valeurs, si définitives qu’elles puissent paraître, dépose toujours de nouveau, tout au moins en puissance, la force de se transformer en ordonnances nouvelles, dépose le germe d’un nouvel ordre religieux de l’homme.
C’est précisément parce qu’il en est ainsi qu’il est interdit à la littérature de se dérober à sa tâche de contempler et de saisir les forces de l’époque et de les symboliser, tâche morale de connaissance, qui grandit à mesure que l’homme, enserré dans les ténèbres de l’anéantissement du monde, veut se fermer à elles car à son extrémité apparaît aux yeux le mythe nouveau, qui prend naissance et grandit dans un monde qui s’ordonne dans un ordre nouveau.
Que les choses en arrivent là ou non, la littérature est au-delà de l’optimisme et du pessimisme, sa présence seule est déjà de l’optimisme moral et la présence d’une oeuvre de la grandeur artistique et éthique d’Ulysse, contribue, même contre la volonté de son créateur, à un pareil optimisme.
Hermann Broch, James Joyce et le temps présent, Création littéraire et connaissance, éditions Gallimard